Sur 20 ans, j’ai dû le passer bien 3 ou 4 fois, et financièrement, j’y ai presque laissé mes deux reins ! Dire spontanément qu’on n’a pas le permis de conduire c’est comme rêver de se promener à moitié nue dans ton ancien collège devant ton crush de l’époque… Cette gênance plus qu’inconfortable-là, qui remonte de l’estomac jusqu’à la nuque, c’est un peu ce que je ressens quand j’avoue ne pas avoir le papier rose.
LA DICTATURE DU PAPIER ROSE
Grandis un peu ma chérie !
Thierry Ardisson, Lena Dunham, Rihanna, Daniel Harry Potter Radcliffe, Albert fucking Einstein ou encore Bill Gates font partie du club de ceux « qui ne l’ont pas » et qui ne s’en cachent pas. Même si cette tache sur curriculum n’interdit visiblement pas d’avoir un destin brillant, j’élude toujours pour autant la question quand on me la pose. En règle générale, on m’e la pose’n parle rarement car à mon âge, on suppose que je conduis. Les bonnes gens passent sur l’affaire rapidement quand je leur dis que je n’ai pas de voiture ou que je ne conduis tout simplement pas. En revanche, il y en a d’autres qui, non contents d’avoir peu de pudeur, soulèvent le lièvre avec une jubilation dérangeante.
Mais finalement, pourquoi on se sent si minable quand on avoue ne pas avoir le permis de conduire et peut-on réellement vivre sans tout en recadrant les gros.ses lourd.e.s ?
« Ne pas avoir son permis c’est un signe d’immaturité ! » m’a-t-on expliquée entre 2 bières et le pillage d’une coupelle de cacahouètes trop salées…
Ils ne savent pas que je suis le genre de personne qui doit se rappeler avec quelle main elle écrit pour pouvoir tourner du bon côté, qui trouve la règle des stationnements alternés débile et qui ne voit que des beaufs sur la route. Partant de là, difficile de se mettre au diapason. Si je me rassure en lisant des « études » démontrant que les gens intelligents mettent plus de temps à obtenir le permis voire ne l’obtiennent jamais, je me dit que ce n’est pas si grave de ne pas l’avoir !
En réalité, tu es propriétaire, tu travailles à ton compte et tu es maman, en gros, tu cumules les fonctions d’assistante maternelle, cuisinière et agent de surface, mais tout cela n’a AUCUNE importance aux yeux de la Plèbe : tu restes coincée avec l’ado boutonneuse qui n’a pas été fichue de respecter les distances de sécurité pendant l’examen de conduite. Seul le papier rose t’adoube en tant qu’adulte accompli et pire dans mon cas, en tant que femme indépendante. La double peine.
Oui, on m’a bien serinée avec le permis comme un outil d’émancipation de la femme ! J’ose croire que les femmes ont bien d’autres moyens pour s’affirmer que de tenir un volant. J’avoue que j’ai envié cette caricature de fille qui a tout pour elle ; confiance, beauté, job de rêve et la voiture un peu sportive qui crie du moteur au pot d’échappement comment elle assure dans la vie. J’en ai rencontré pléthore et on m’a souvent comparée à elles avec condescendance en me faisant bien comprendre que je serai toujours le modèle d’entrée de gamme, celle qui prend le bus avec le peuple… Dur pour moi et les usagers du bus.
Je reconnais que j’ai toujours été du genre contemplatif, j’aime me faire conduire, être bercée par le ronron du moteur, donner des directions, râler contre les autres conducteurs, m’indigner sur les travaux de voirie, le manque de stationnements et bien-sûr, j’adore critiquer ceux qui terminent leur toilettage dans le rétro… Et j’ai beau me faire violence pour passer ce fichu permis tous les 10 ans, j’échoue au pied de l’autel de l’indépendance à moteur, mon cerveau n’en veut pas, exactement comme celui de mon fils qui ne veut pas ranger ses jouets qui traînent sur le territoire parental… Quand le cerveau dit non, ben c’est non.
Le regard des autres, le jugement dernier.
Comme le bac, le permis de conduire est un rites de passage à l’âge « adulte » n’impliquant, ni de courir nu à travers un troupeau de taureaux en rut, ni de lécher un nid de fourmis rouges. Cela dit, je ne comprend toujours pas pourquoi il faudrait se plier à une règle pour intégrer le monde des grand.e.s, d’autant qu’il n’y a aucune garantie que cela apporte joie et prospérité. De l’embarras à la revendication presque militante, ne pas l’avoir a été avant tout pour moi une lutte systématique contre de petites humiliations en verbes et en attentions, florilège :
- L’incompétence professionnelle « Je vais devoir accompagner ma collègue, elle n’a pas le permis ! » 😬
- Le crash sur le plafond de verre « Vous n’avez pas le permis ? Vous n’avez pas envie d’être une femme forte et indépendante ??? Ce poste à responsabilités ne vous correspond peut-être pas finalement. » 😁
- Le naufrage amical « Comment tu fais sans le permis !!? Comment tu gères ton môme ? Et les courses !?????? C’est ton mec qui fait tout ? » 😑
- La culpabilité amoureuse « Si je me casse une jambe ou si le petit s’ouvre le crâne, tu fais comment ?? » 😟
- La sape familiale « Tu devrais le passer quand même, tu pourrais faire plus de chose, être utile, tu te sentirais pas mieux hein ? » 💩
Et que fait-on à part sourire bêtement hein ? Ben… on sourit bêtement. La colère bouffe de l’énergie, la violence est illégale, l’indifférence requiert une sacrée grandeur d’âme, alors quoi ? Avec le temps et l’expérience, on se construit un p’tit argumentaire qui claque…
LA MARCHE DES « SANS PERMIS B »
Comment vit-on sans le permis ?
Plutôt facilement l’ami ! On le sait bien, les conducteurs sont convaincus que ne pas avoir le permis constitue un sérieux handicap dans la vie. Mais de quelle vie parle-t’on ?
Moi, je suis arrivée à Strasbourg il y a 20 ans pour mes études comme des milliers d’autres franc-comtois anti-Besac (comprenez Besançon) et je me suis naturellement déplacée à vélo pour tout faire. J’ai fait le choix d’habiter en centre ville et quelque soit le transport que je choisis – vélo, tram, bus et le train, je vais à peu près partout où je veux en gagnant même du temps car je le mets à profit ; Je bouge, je m’informe, je lis, je travaille ou je câline mon fils sans me soucier des mouvements dans le rétro. Certes c’est toute une organisation mais qui ME convient et que j’apprécie vraiment beaucoup.
Je sais bien que s’affranchir du diktat de la voiture implique d’habiter une zone confortable, entre les commodités et son boulot, autrement dit, au coeur de l’habitat naturel du bobo… Celui-ci délaisse sa voiture par soucis écologique tandis que les autres s’y accrochent par contrainte économique et entre les deux, il y a des gens comme moi qui n’ont pas vraiment fait de choix.
Les arguments qui mouchent
Vivre au rythme de ses pas plutôt qu’à 130 sur l’autoroute, c’est le nouveau cool Steevie (McQueen) ! Je n’ai pas eu le permis et je ne l’aurai peut-être JAMAIS. Alors j’ai éprouvé 4 arguments vertueux à destination de ceux qui me cherchent sur le sujet : (à utiliser selon le degré d’asticotage)
Je vous assure que de ne pas avoir son permis de conduire, c’est une preuve de courage : on vous donne toujours la place du mort !
- Je ne perds pas mon temps
Il y a toujours une gare, un arrêt de bus, de métro ou de tramway à proximité de ma destination. Bien-sûr, il ne faudrait pas que ce soit aux confins de la Meuse hein ? Développement durable oblige et heureusement pour MOI, il y a, quoiqu’on en dise, un effort fait de la part des communautés urbaines sur le déploiement d’un transport de qualité (kikou Strasbourg). Perdre son temps n’est plus une excuse. Et comme je l’ai évoqué plus haut, ces trajets peuvent être l’occasion de faire une vraie pause (ben oui on a le droit) de l’esprit pour arriver à destination fin prêt.e à embrayer si je puis dire. - Je ne jette pas l’argent par les fenêtres (de la bagnole)
La voiture offre une grande liberté mais elle a un prix et il est drôlement salé entre l’achat de la voiture, l’assurance, l’essence… Ça devient vite une tannée ! Quand on a l’habitude de faire ses courses à pied ou en vélo, on sait pertinemment qu’on ne pourra pas transporter tout un caddy de denrées alors on passe expert dans l’art d’acheter RATIONNEL, et oui c’est possible avec une famille et rentable avec ça, surtout si on cuisine un peu. La voiture, signe extérieur de richesse ? Pffff, c’est tellement le monde d’avant ! - Je fais du sport gratos
Se déplacer à pieds ou à vélo est souvent un gain de temps mais c’est aussi une remise en forme GRATUITE ; Moins de stress, très mauvais pour le stockage des graisses, et excellent pour les cuisses en gelée sans parler de notre indéfectible amie intime, j’ai nommé la bouée abdominale. - Je ne suis plus une anomalie
Nous sommes nombreuxses et nous le serons de plus en plus. Tous les indicateurs confirment bien que la mobilité de demain ne passera plus par la voiture telle qu’on nous la vend. Mais ça, c’est pour demain « loin devant » comme disent les fâcheux. Vivre sans permis est vu comme une marginalité aujourd’hui, mais le no-car est un vrai choix et qui a de l’avenir quand on vit en ville ou en agglomération.. Un jour dans la norme, je serai. #Strasbourg 😘
Évidemment, j’ai bien conscience d’être une privilégiée en étant citadine. Habiter hors des réseaux reste problématique aujourd’hui si on n’est pas motorisé. La voiture a façonné le quotidien, réduisant certes les distances mais défigurant notre environnement, le travail et notre façon de consommer. En vérité je vous le dis, mes chers camarades, nous vivons bien encore sous une dictature vrombissante…
J’espère avoir donné matière à parloter entre ceux qui ont le permis et ceux qui ne l’ont pas. L’important est, et c’était bien le but de cet article, qu’aujourd’hui je dis volontiers ne pas avoir le permis de conduire sans me liquéfier sur le Lino et ce n’est pas grave quoi .